“FORMER AUSSI PEU DE PERSONNES, C’EST S’AUTO-DETRUIRE”
Entretien avec l’ingenieur en soudage Tim Buyle
Le fidèle lecteur de Métallerie aura sans aucun doute déjà rencontré plusieurs fois le nom de Tim Buyle. Professeur à la KU Leuven, l’Ecole Supérieure Thomas More et l’Institut Belge du Soudage, il écrit régulièrement des publications sur la technique du soudage pour cette revue professionnelle. Il y a cinq ans, il a créé Weldone, avec lequel il veut soutenir de façon indépendante les petites et grandes entreprises dans leurs défis en technique de soudage. Et ce sont précisément ces défis et autres développements dans le secteur qui expliquent pourquoi nous voulons vous proposer sa vision à l’aide de cet entretien.
L’un de ces défis dans le secteur est peut-être d’emblée le plus grand: le manque de compétences techniques et de personnel techniquement qualifié. Les soudeurs sont-ils insuffisamment qualifiés ou certifiés?
Tim Buyle: “Hélas, oui. Les connaissances s’appauvrissent à vue d’œil. Et je ne parle pas seulement des connaissances théoriques que les jeunes apprennent sur les bancs d’école, l’expérience pratique acquise dans de petites et grandes entreprises laisse aussi à désirer. Pour ce qui est des connaissances théoriques, les entreprises peuvent s’adresser à des institutions telles que l’Institut Belge du Soudage (IBS), la KU Leuven et Thomas More. Mais de nombreuses PME hésitent à demander leur aide. Avant, elles pouvaient s’adresser à de grands fournisseurs en technique de soudage mais le problème est que les personnes plus âgées et expérimentées ayant les connaissances pratiques requises partent peu à peu en pension et ne sont pas remplacées. Toutes ces connaissances sont donc perdues. Finalement, ce manque de personnel qualifié conduit aussi à la réduction ou à l’arrêt des programmes de recherche parce que ceux-ci ne semblent plus être rentables. Le retour sur investissement est insuffisant.”
Comment constatez-vous le peu de connaissances en soudage dans la pratique?
Tim Buyle: “L’une des conséquences de ce manque de connaissances est que les spécialistes en soudage sont devenus hyper spécialisés, par secteur. Et ce, alors que l’économie en Belgique est surtout l’affaire de PME, où les connaissances du soudage reculent, comme relevé. Avant, elles faisaient appel à leur fournisseur en technique de soudage pour les connaissances nécessaires mais ces jobs sont maintenant exercés par des personnes ayant un bagage commercial. Les connaissances et l’expérience nécessaires font défaut et souvent elles n’ont pas suivi de formation en soudage. Il n’est pas rare que j’arrive dans des entreprises et que je constate qu’elles se sont laissées guider par le vendeur d’un fournisseur. Elles convainquent l’entreprise des avantages de leur tout dernier produit, par exemple un robot de soudage ou une nouvelle source de courant de soudage truffée de programmes synergétiques, mal ou bien trop peu utilisé.”
Encore une chance que les fabricants continuent de miser sur de nouvelles technologies, comme la programmation automatique des robots de soudage, donc?
Tim Buyle: “La programmation automatique des robots de soudage est déjà très avancée, certainement en matière de logiciel. Le programme de robot en soi est simple en fait. Celui-ci décrit un trajet en 3D de la torche dans l’espace et tient compte de facteurs tels que la détection des collisions. Mais ce à quoi les entreprises se heurtent aujourd’hui, c’est la position de la torche et la façon dont vous devez souder, par passes tirées ou poussées? Quelle est la position de la torche? Et quels paramètres de soudage devez-vous suivre pour obtenir une soudure réussie?”
“Je connais au moins une entreprise qui tente de traduire les connaissances en soudage de vieux briscards du métier, qui adoptent d’eux-mêmes une bonne attitude de soudage, dans un logiciel. Ils utilisent la technologie motion caption tels que des capteurs et des caméras. Ils étudient notamment les positions de soudage et essaient de radiographier et numériser la dextérité manuelle du soudeur. Révolutionnaire!”
“Laissez-moi expliquer ce que je veux dire par un exemple. Une entreprise dispose d’une cellule de soudage robotisée qui a été programmée et mise en service. Le robot de soudage a parfaitement travaillé mais après trois mois, ce ne fut soudain plus le cas et les soudures étaient mauvaises. Que faire? Les programmeurs de robot s’arrachent les cheveux. Le logiciel reste identique, les paramètres de soudage sont inchangés. Et qu’en est-il? Le robot de soudage a subi récemment un entretien préventif, la torche ayant été mal démontée et remontée dans le support. Un écart d’un centimètre fait une grande différence. Les programmeurs robot n’ont pas trouvé le problème car ils n’ont pas les connaissances de soudage requises. Un spécialiste du soudage pourrait d’emblée proposer la solution car il réalise l’importance de la posture de la torche.”
De nombreuses entreprises et instituts d’enseignement se rendent compte de ce manque de connaissances en technique de soudage et tentent d’attirer plus de jeunes vers une orientation technique. Ils utilisent notamment le soudage par la réalité virtuelle? Que pensez-vous de ce développement?
Tim Buyle: “Le soudage par la réalité virtuelle est une manière rapide et sûre de faire découvrir le soudage aux jeunes. Cette méthode de soudage séduit les jeunes et est donc un appareil de formation idéal. Les fabricants de ces appareils veulent toutefois nous faire croire que le soudage par réalité virtuelle deviendra une technique de formation complémentaire. Je ne le crois pas. La réalité vaut toujours de l’or pour développer les nécessaires aptitudes de base. Attention, je ne reproche pas aux écoles de tenter de surfer sur cette vague. Au contraire. Elles s’efforcent d’attirer plus de jeunes. Mais le manque de ressources est souvent réellement criant dans les instituts d’enseignement. Je me rends parfois dans des écoles qui organisent une formation de soudage et j’ai honte des équipements.”
“Nous marchons sur la voie de l’auto-destruction. Nous formons trop peu de personnes et devons recourir en masse à la main-d’œuvre étrangère. Dumping social? Pas du tout! Nous faisons venir ces personnes par amère nécessité. Nous les formons, les laissons acquérir des connaissances et de l’expérience et finalement elles repartent. Et nous perdons ces connaissances. Il s’agit de laisser les jeunes à nouveau s’étonner de la technique. Des garçons et des filles, qui ont généralement une motricité plus précise et sont donc habiles. Hélas trop de parents n’aiment pas que leur fille fréquente une école professionnelle pour être soudeur.”
“Le manque de moyens est reellement criant. Parfois je me rends dans des ecoles qui organisent une formation en soudage et j’ai honte des equipements.”
Et quid de la certification? Un diplôme ne suffit souvent pas ...
Tim Buyle: “En fait notre système d’enseignement pose un accent erroné sur des disciplines telles que le soudage. C’est trop ciblé sur l’obtention d’un diplôme tandis qu’un soudeur a surtout besoin de dextérité manuelle. Au lieu d’une épreuve intégrée constituée d’un amalgame de textes trouvés ici et là, ces élèves feraient mieux de consacrer leur temps à des leçons pratiques. Les diplômés sont des élèves avec un diplôme tandis que les entreprises demandent des soudeurs avec un certificat. Certaines écoles prévoient dès lors la possibilité d’obtenir ce certificat pendant la formation mais elles ne sont qu’une poignée. D’un autre côté ... un certificat illustre l’habilité, mais ne pas les connaissances d’un soudeur. Les entreprises rencontrent les pires difficultés dans leur recherche de soudeurs certifiés.”
Le secteur fait aussi face à d’autres défis. L’arrivée de nouveaux matériaux difficiles à usiner par exemple. Quel en est l’impact?
Tim Buyle: “De nouveaux matériaux engendrent de nouvelles évolutions technologiques. Les développements vont loin dans ce sens. Songez à l’arrivée de nuances d’acier avec une limite d’élasticité sans cesse plus grande dans les constructions. Cette limite recule un peu à chaque fois. La métallurgie va même si loin que le soudage peut à peine suivre. Il existe des matériaux que personne ne peut souder, parce que la soudure n’atteint pas la même solidité que ces matériaux.”
“N’oublions pas qu’une chaîne n’est jamais aussi solide que son maillon le plus faible, dans ce cas-ci la soudure. Les concepteurs en tiennent compte dans les constructions, en limitant le nombre de soudures ou en prévoyant la soudure dans une zone non sollicitée. Les limites du soudage nous font évoluer vers d’autres technologies d’assemblage. Celles-ci comportent le soudage mais aussi le collage, le sertissage, … Ce sont surtout des acteurs de niche qui s’en servent.”
Pour la fabrication additive il s’agit encore d’acteurs de niche mais on s’attend à ce que la technologie perce davantage. Suivez-vous cette technologie de près?
Tim Buyle: “Les développements dans la fabrication additive ne se sont pas arrêtés ces dernières années ou mois. Il existe bien des technologies différentes pour l’impression additive métal, comme sous forme poudreuse ou avec fil. Une technologie à laquelle je crois est le Wire and Arc Additive Manufacturing (WAAM). Cette technique utilise un robot de soudage avec un fil de soudage, souvent un semi-automatique classique. Les Pays-Bas misent surtout sur cette technique et un pont imprimé en 3D y a été présenté récemment. Même s’il s’agissait surtout de mettre en valeur le WAAM car notamment les connaissances, l’expérience et la normalisation manquent encore pour s’y engager à fond.”
“En Belgique, l’Institut Belge de la Soudure (IBS), la KU Leuven et quelques partenaires industriels étudient la technologie WAAM. Car elle comporte quelques difficultés. Le logiciel doit faire face à un grand défi pour répondre à la demande de traduire la technologie du programme de dessin en procédures de soudage. Je vise ici la séquence des usinages. Un grand défi mais également un grand potentiel. Pour ce qui est de la caractérisation des propriétés mécaniques, il faut également effectuer des recherches complémentaires. La solidité, les valeurs de calcul pour les ingénieurs, le contrôle de qualité et les critères d’acceptation. Nous connaissons tous ces facteurs pour les assemblages soudés mais ne pas encore pour les structures WAAM. La normalisation fait défaut. Il s’agit donc de chercher dans les prochains mois et années les vices cachés … si nous pouvons les trouver.”